mardi 13 avril 2010

Marathon de Paris : récit de Chou

Voici le récit de ma course. Celle du dernier opus des 5 marathons. Merci à tous pour vos dons, et votre soutien qui ne s'est pas démenti au gré des épreuves de ce challenge.

Il y a cinq ans, la Fée Clochette est venue me proposer de mettre mes jambes au service de l'association française de lutte contre le Syndrome de Williams. Je venais de finir mon premier marathon de Paris en 3h47. La faute à un prof' de finances de l'ESCP qui est depuis devenu l'un de mes meilleurs amis, Christophe Thibierge. Un garçon unique et  aux qualités humaines exceptionnelles. Avec lui et Christian Riedi le dynamique co-dirigeant d'ESCP Running nous avons imaginé le challenge 5 marathons sur 5 campus. Nous avons par la suite rencontré Anne-Laure Thomas la présidente de l'association Autour des Williams, ancienne ESCP elle aussi. Nous avons immédiatement accroché, et elle a mis toute son énergie et sa générosité au service de se projet, très vite secondée par Pauline Delpierre qui a fait un travail exceptionnel sur les marathons et notamment le dernier opus parisien.

Maintenant que l'aventure touche à sa fin - sous cette forme au moins - je voudrais remercier, Gilles Gouteux, Thomas Bord, Maciej Keirzek, Pascal Morand de l'ESCP qui nous ont apporté un soutien précieux à bien des égards. Je pense aussi à Stéphane Diagana qui a montré qu'outre le grand monsieur du sport français qu'il est, il a lui aussi un coeur énorme. Et je ne peux oublier Guy Mac Callum le patron de Spira et ses 120 paires de chaussures grâce auxquelles nous avons fait des bons de géants. Pas plus que Commerzbank pour l'énorme concours financier apporté. Dans un pays où l'on ne connaît que trop peu la course caritative, c'est remarquable.

 Une petite spéciale pour Danièle Rousseau et son sens de l'hospitalité, et aux Picarnus Joce et Christian qui nous accompagnent depuis le tout début avec un coeur énorme.

A titre personnel, il n'y a pas de performance sans soutien, et c'est aussi et sans doute grâce à ma femme que je n'ai jamais rien lâché. Par ailleurs, jai passé de grands moments de bonheur avec les quatre fantastiques qui se reconnaîtront ... Il y en aura d'autres bien sûr et sans doute à Dublin qui arrive au mois d'octobre.

50 000 € collectés c'est extraordinaire ! Il y a cinq ans lors de notre première collecte nous aurions eu peine à y croire. Et si la générosité des miens s'est renouvelée au fil des ans, les témoignages d' amis, voisins, et même de certaines relations de travail me sont aussi allés droit au coeur.

3h04, ce sera sans doute mon record final, car je ne suis pas du tout certain de vouloir reproduire les 4 séances par semaine sous la pluie, le froid, et surtout dans une solitude due à l'absence légitime de partenaire pour courir sur des plans en 3 heures.

Chloé ma petite nièce atteinte du syndrome en valait néanmoins 100 fois la peine.

Bises à vous tous, et encore mille mercis.

Sportivement.

Laurent.





et la version longue : 

Sol invictus !


En ce dimanche 11 avril, il flotte sur la capitale un parfum de bien être. Longtemps nous
avons dû composer avec les caprices d’un hiver si rude, si long. Il a rendu l’entraînement
parfois détestable. Combien de tours ai‐je passé sur l’ocre de la piste du vieux stade de l’Est
à maugréer, engoncé dans mon coupe‐vent, avant que le manque d’oxygène de mes
exercices de vitesse et de résistance ne vienne mettre un terme à mes récriminations.
Mais en ce jour où nous abordons la dernière étape de notre périple, le soleil s’est enfin
décidé à nous prodiguer ses faveurs. Il sont venus, ils sont tous (ou presque) là … Près de 60
coureurs font dos à la Chambre de commerce de Paris et face aux appareils photos. Il faut
dire que nous avons fière allure dans notre toute dernière tunique aux couleurs de l’ESCP et
d’Autour des Williams.


8h25 … La photo de famille est faite. La plupart des coureurs sont déjà partis rejoindre leur
sas de départ. Nous sommes encore une dizaine, tendus comme des arcs autant qu’émus, à
traîner sur le pavé du côté de la rue Balzac. C’est comme si nous voulions figer le temps,
avant ce dernier départ. Soudain, un journaliste hirsute nous apostrophe caméra au poing.
La mèche en bataille et le poil de barbe hirsute, il explique son retard par la maréchaussée
abondante qui quadrille le quartier. Normal, serait‐on tenté de lui répondre, c’est un jour de
marathon ! Qu’importe, il est de France 3, et promis, juré, craché nous serons de l’édition
nationale du 13 heures dominical. La gloire pour nous et la cause des Williams que
Christophe défend avec la verve professorale qui le caractérise devant le micro du
journaliste.


Arrivé sur les Champs notre petit groupe répond à l’appel de Christian pour former un
cercle. On baisse la tête, on se tient par les épaules comme pour invoquer les dieux de la
course autant que pour exorciser les démons de cette angoisse qui tend nos muscles et noue
nos gorges. Le cri de guerre est lancé … On s’enlace, on s’embrasse. On se souhaite bon
courage, une dernière fois … Une toute dernière fois au bout de cinq ans, de cinq marathons
et des cinq villes européennes parcourues … Madrid, Berlin, Turin, Londres, et dans quelques
heures, la ville lumière, notre ville : Paris. Chacun est désormais dans sa course. Malgré la
présence de Thierry dans le sas des 3 heures, je suis déjà dans un monde qui n’appartient
qu’à moi. « Yes you can ! » me dis‐je. Et pourtant ... Plus de 14 km/h de vitesse moyenne.
Voilà qui me semble soudain irréel voire vertigineux. Alors, au pistolet, je me cale sur celui
qu’on appelle le meneur d’allure. Voilà un drôle d’oiseau capable de couvrir la distance en
moins de 2h30, et qui pour la circonstance est chargé par les organisateurs d’accompagner
les coureurs au rythme qu’impose l’objectif des 3 heures.


Pour ce qui me concerne, ce sera mission 1h29 à mi parcours, avec de la réserve, car si le
marathon fait 42,195 km, il reste une course d’approche jusqu’au 30 kilomètre.


J’avale la rue de Rivoli avec facilité et désinvolture, et profite de l’absence des pollueurs à
moteur usuels pour respirer à plein poumons et faire circuler l’oxygène, carburant essentiel
des coureurs. Tout irait au mieux dans la plus belle ville du monde possible si je n’avais pas
cette furieuse envie de soulager cette vessie qui n’en fait qu’à sa tête. Mais, il est trop tôt, et
je risque de me faire happer par le groupe des 3h15 qui n’est pas encore suffisamment
éloigné. Par chance, les abords du bois de Vincennes peu après le 10e kilomètre, offrent des
recoins idéaux pour satisfaire à ce type de pression malfaisante. Petit sprint pour rejoindre
mon meneur d’allure que j’avais devancé et que je dois désormais rattraper. La petite
promenade dans les bois se passe sans trop d’encombres, et arrivé à la porte de Charenton,
je suis une centaine de mètres devant mon meneur. Toujours bon à prendre pour la
confiance, d’autant que je franchis la première partie du parcours en 1h29 et 30 secondes
pile‐poil. La pente est alors légèrement descendante, et il me semble opportun d’en profiter
pour pousser une très légère accélération, sorte de hors d’oeuvre digeste avant le plat de
résistance des montées qui doivent survenir après le 28e kilomètre. Les quais se dressent
alors devant nous après une petite descente où l’on perçoit l’éclat du dôme du Grand Palais
percer l’azur. Une brise légère vient alors démentir l’impression de chaleur qui se faisait
naissante pour le plus grand bonheur du peloton dans lequel je me suis embarqué. Plus de
signe de mon ami meneur, car désormais c’est droit devant que mon regard est tourné.
Point de mire : les tunnels où s’enchaînent montées et descentes, comme dans les
montagnes russes. Le cauchemar du coureur après plus de trente kilomètres … 


A l’approche du Trocadéro, premières alertes. Le souffle est plus court et les jambes ankylosées par
l’effort sont lourdes. Soudain, j’aperçois le meneur me dépasser sur mon flanc droit. Les 3
heures sont en train de filer sous mon nez. Il reste moins de 10 kilomètres. Je décide de
rassembler mes esprits et convoque une réunion de crise avec moi‐même. L’heure est grave.
D’un côté, je peux accélérer et tenter un coup de poker pour tenir le plus longtemps
possible en prenant un risque d’asphyxie et donc d’implosion non négligeable avant
l’arrivée. De l’autre, je peux tenter de réduire mon allure pour finir à environ cinq minutes
de mon objectif initial. 3h05, c’est un peu le plan B auquel je réfléchis depuis plusieurs jours
au nombre d’autres possibles puisqu’il s’agit de la barre qualificative pour les championnats
de France de marathon de ma catégorie avant leur suppression. Décider c’est faire des
sacrifices. Alors je me résous à la sagesse, et fais le deuil des 3 heures. Je change de braquet,
et réduis ma cadence pour me situer entre 13 et 13 km/h et demie … Et ça marche ! Le
différentiel me relance, et je saisis alors les mystères du dur entrainement que j’ai suivi. Car
contrairement, à mon travers usuel, j’ai la quasi certitude d’arriver à maintenir ce rythme
jusqu’au terme du parcours. 3h05 soit près de 7 minutes de mieux que mon record
personnel ne serait pas une victoire galvaudée me dis‐je.


C’est sur ces considérations glorieuses qu’arrive LE kilomètre … 37,2 – Le matin, forcément.
C’est le point de rassemblement du groupe des quelques 70 supporteurs qui sont venus
répondre à l’appel des Williams, et des coureurs. Femmes, enfants, voisins, amis. Ils seront à
mes côtés dans quelques minutes à peine … « Faîtes du bruit ! » pensai‐je. Cinq ans que
j’attends ce grand moment … J’en ai presque les larmes aux yeux. Au loin, le groupe se
dessine dans une large courbe où je perçois les ballons roses et verts de l’association, et un
guetteur chargé sans doute d’avertir le groupe. Tout se passe très vite … Et je décide sans
m’arrêter de me rapprocher de la foule, et de venir toper les mains qui se présentent à moi
… Il y a celle d’Hervé – ma bête noire au tennis – celui‐là même qui proposait de venir
carabine à la main pour m’achever au 37e kilomètre… « Mais non, tu vois, Hervé, je ne suis
pas mort ! ». Au contraire, je suis en pleine bourre … Puis la main d’Eric, la petite bouille de
Charlotte, tout sourire et dents dehors, et puis Ethan mon petit garçon … Un authentique
sportif dans l’âme. Ce sera un beau souvenir pour nous deux. Il m’interpelle « Daddy ! » …
Tout tourne au ralenti, sauf mes jambes. J’essaye de voir plus loin, ma femme, ma fille …
c’est déjà trop tard, car à 5 kilomètre de l’arrivée, je ne m’appartiens plus trop, et j’ai un
objectif à réaliser… Cinq – Quatre – Trois ‐ Deux … L’avenue Foch se profile à la sortie du
bois. Je suis le dauphin de la porte Dauphine ! Le quarante‐deuxième kilomètre… J’accélère
sans aucun souci, j’harangue la foule impressionnante massée sur la place qui précède les
derniers mètres. La réponse dépasse mes propres espérances. Je me sens pousser des ailes
sous les vivas du public qui scande mon nom qu’il aperçoit sur mon dossard. Ma montre
indique 3h04 et des brouettes … Un dernier coup de reins et c’est le bonheur … Un ange
passe. J’y suis ! 3h04 et 41 secondes. 


Vermoulu, mais pas trop … Je souris, et je suis saisi à la gorge par l ‘émotion de toutes ces images qui défilent dans mon imaginaire : la bestialité de Madrid, la chute dans le parc du Retiro, et l’aide des coureurs à 700 mètres de l’arrivée – La magnificence de la porte de Brandebourg et les Bretzels de l’after Berlinois – Turin, le soleil,
les Alpes et ma chevauchée si belle, si imbécile, mais si héroïque – Londres, mon chemin de croix, mes pieds en sang, mes rendez‐vous ratés … et 3h12 pourtant. Paris, c’est donc huit minutes de mieux. Un écart que je juge vertigineux. D’autant qu’au final, je suis plutôt en forme après plus de 3 heures de course, et une nuit de sommeil à peine plus longue… Je déploie un large sourire. Le travail a payé, et c’est là l’essentiel. Désormais, ce sont plus que les quinze secondes de gloire Warholienne qui m’attendent. L’heure de la ripaille est venue. 


Exit la diète liquide et « glycogènée » ! Bonjour graisses animales et substances alcoolisées.
D’ailleurs, j’ai aussi programmé un rendez‐vous avec un paquet de Doritos et un groupe de
crocos Haribo. Je remonte l’avenue Foch vers l’Arc de Triomphe médaille au cou … Cinq ans,
cinq marathons, cinq campus, cinquante mille Euros pour financer la recherche et aider les
familles … Mais aussi et surtout un amas fantastique d’aventures, de rencontres, d’amitiés,
et de personnalités fabuleuses d’humanité, de gentillesse et d’énergie. Me reste en tête le
sourire de Chloé ma nièce atteinte du syndrome et le mot d’encouragement de ses parents à
quelques jours de l’épreuve.


« Si tu veux changer ta vie, cours un marathon » disait Zatopek. Chloé, ma petite chérie, en
ce 11 avril, tu as changé la vie de près de 60 personnes ! Tout comme tu as changé celle de
ton oncle il y a plus de cinq ans.

1 commentaire:

  1. Très beau récit. Je partage totalement la vision de l'entraînement en solo, le soir, sous la pluie, le vent, la neige et parfois, dans le noir de la piste éteinte par un gardien trop zélé.
    Mais tout ça paie. C'est déjà ça !
    Bravo

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